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1 juin 2013

A la lueur des majoliques

 

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Les espaces que nous allons parcourir ont mille fois été arpentés par d'autres que nous. Les marchands caravaniers ont longtemps tressé un écheveau de soie entre la Chine et l'Europe, dont la route entre Samarcande et Khiva n'était que l'un des fils. Mais là où se suivaient attachés par leur licols les chameaux de Bactriane, au long poil et à l'allure sénatoriale, ont également galopé leurs cousins équidés, éperonnés par leurs cavaliers avides de conquêtes et souvent de destruction. Ces derniers ont maculé le sol terreux ou sablonneux du sang de leurs opposants. Entre ces deux voies, l'une de soie et l'autre de sang, nous allons tracer la nôtre, qui se veut plutôt portée sur la terre cuite, dont l'émail bleu ou vert luit au soleil des steppes d'Asie centrale.

 

 

Dans l'Ouzbékistan retiré

 

DSC 0004Un grand ciel bleu, de grandes avenues bordées d'arbres, des champs d'un vert intense, des bâtiments de béton, sans fioritures ou même peinture, et quelques individus à l'accoutrement paysan plantés ci et là pour agrémenter ce décor. Ourgench est un autre monde, relié au notre par un aéroport international miniature, mais surtout lié à son histoire soviétique qui a façonné le paysage. Ici, tout se pense encore en collectif : des bâtisses agricoles qui longent les routes, au trolleybus qui fonctionne toujours entre Ourgench et Khiva, soit sur une route droite de 30 kilomètres, même jusqu'aux voitures individuelles, rares, et souvent remplies à ras bord, comme si ses occupants étaient des familles entières qui cherchaient à fuir un lieu de combat. La touche locale, c'est la terre nue, consciencieusement balayée devant chaque maison, devant chaque bâtiment dont sont totalement absents les moindres détritus si courants ailleurs. C'est aussi la tenue : sans particularité pour les hommes autre que le tioupé, cette calotte tressée qui orne joliment leur tête; très particulière pour les femmes du Khorezm qui affichent presque toutes des leggings courts qui dépassent un peu de leur longue tunique, portée près du corps pour les jeunes, manches courtes, dont les motifs rappellent clairement que la région a subi le joug soviétique, y compris en termes de coloris. La dernière touche paysanne, voire gitane dans notre imaginaire, ce sont les petites chaussettes portées sous les nu-pieds de mauvaise facture, en général équipés de talons qui claquent bruyamment sur le sol la féminité de leurs propriétaires.

 

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A l'évidence, ce monde n'a pas encore été emporté par le tourbillon de la consommation de masse. Pour cause, les magasins sont rares, peu achalandés, toujours des mêmes produits de base. La cuisine est à l'unisson, routinière et grasse, probablement pour permettre à ces peuples au faciès mi-européen mi-mongol de résister aux hivers qui sont aussi rudes que les été sont chauds.

 

Ali est notre taxi. Nous sommes très heureux de lui avoir demandé de venir nous chercher à 6h10 à l'aéroport : sa voiture est la seule sur le parking en sus d'un bus qui attend son groupe de touristes français. Sans Ali, nous aurions probablement eu le temps d'explorer l'aéroport de long en large en attendant qu'un autre taxi pointe le bout de son nez dans ce désert humain…

 

Trente minutes plus tard, le taxi d'Ali passe sous le porche des remparts en terre de la vieille ville de Khiva. Notre chambre au B&B Meros n'étant pas prête avant 11heures du matin, nous nous lançons dans une première découverte de la ville, dont l'allée centrale est déjà courue par de nombreux touristes, français ou ouzbeks. Perclus de fatigue, nous rentrons au B&B pour nous affaler à même les tapis du sol dans le salon de l'étage, puis dans la chambre enfin libérée. La visite de l'après-midi confirmera les impressions du matin : Khiva est un petit bijou d'architecture à la fois simple - des entassements de brique et de terre cuite - et complexe, par les majoliques de céramique bleue qui ornent les frontons des bâtiments de marque.        DSC_0024

 

DSC 0086On adore, immédiatement. Toute l'après-midi durant, nous arpentons ses ruelles au sol irrégulier mais balayé par les femmes et par les vents. Le harem est superbe, le mausolée Mahmoud Pahlavi est surmonté d'un dôme d'un vert de jade splendide, et le schéma de la ville est rehaussé par deux minarets d'une cinquantaine de mètres de haut et un très gros minaret tronqué de 26 mètres, dont les couleurs au soleil couchant emportent nos coeurs.

 

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On les dirait parés de délicates soieries, abandonnées là par quelque marchand trop pressé de reprendre cette route qui a lié longtemps les deux continents.

 

 Puis Pierre nous accompagne dans nos déambulations nocturnes. Ce sexagénaire d'Europe centrale, qui a fui le communisme pour le rêve américain est un amoureux de Central Park. Il a travaillé de longues années à Wall Street, suffisamment pour être écoeuré des hypocrisies nées de ce monde de financiers sans scrupules, pas assez pour penser que les richesses doivent être distribuées au sein de la société. Contre les interventions gouvernementales, il ne jure que par la force de la volonté individuelle. Il semble libertarien ou anar de droite, ce qui aux USA est pratiquement la même chose. Avec son bouc blanc, son teint bruni par le soleil ouzbek et ses yeux vifs, il fait un sympathique compagnon passager de notre voyage. Son français quasi-parfait y est pour beaucoup. Nous le reverrons à Tashkent.

 

C'est sans lui cependant que nous partons aux marches du désert ouzbek, le Kyzylkoum. Bien que son nom soit la promesse de sables rouges, nous ne trouvons autour des citadelles de terre que nous visitons qu'un peu de sable jaune. La dernière citadelle d'Ayzat Kala, édifiée il y a plus de 1500 ans sur un petit tertre rocailleux, nous expose cependant à ce dont nous rêvions depuis des mois : un espace plat à perte de vue.

 

DSC 0065Seule la végétation basse et un curieux lézard qui relève sa queue rayée de blanc en tire-bouchon semblent occuper ces étendues. En revanche, on imagine sans mal les peuplades guerrières nomadisantes traverser ce désert, leur animaux de bats chargés de leurs yourtes pour leur permettre d'affronter tantôt le gel hivernal, tantôt les brûlures estivales, et toujours les vents qui en empirent les effets. Timour le boiteux y est passé, Gengis Khan aussi et les Scythes en sont partis avant d'aller défaire plus à l'Ouest le grand roi perse Cyrus. Curieuse tribus que ces scythes, cavaliers hors pairs, polygames avertis et malthusiens avant l'heure qui tuaient les plus anciens d'entre eux afin de réguler la population...

 

 

A travers nulle part

 

Un taxi partagé avec un chauffeur qui chique du tabac, une hollandaise septuagénaire dont la diction suit le rythme de son cerveau fatigué, du vide autour de nous. Ce tableau se déplace en même temps que nous sur la route de Boukhara, huit heures durant, imprimant une monotonie que seul l'arrêt rapide devant les toilettes les plus sales du monde saura troubler. Sandrine, pourtant rompue à d'autres horreurs routardes, sort plus vite qu'elle n'est entrée de cette cahute écrasée de soleil sur le bord de la route. Notre chauffeur lui, prend son temps. Les Ouzbeks sont rudes à la tâche!

 

 

Avicenne, notre héros

 

DSC 0013L'arrivée à Boukhara en fin de journée est un choc. La place centrale de la ville s'anime autour d'un bassin, lui-même encadré par deux frontons de médersas, ciselés de majolique. Pourtant, l'atmosphère est trop festive. Un chanteur de restaurant emplit la place des ses reprises italiennes ou de ses ritournelles ouzbekes. Les terrasses sont pleines de touristes ouzbeks et étrangers venus gouter la langueur de l'été débutant autour d'une bière. Le service est empressé. Avec Joseph, le Coréen rencontré à Khiva qui partage notre dîner, nous sommes saisis de la même impression : l'authenticité rugueuse de Khiva nous manque déjà. Nous avons le sentiment que nous allons déjà faire le deuil de l'Ouzbékistan originel, celui des chaussettes dans les nu-pieds, celui des faciès burinés, celui des boules de graisse de boeuf sans lesquelles "ce n'est pas bon"…

 

La nature du voyageur cependant est de s'adapter à un environnement changeant. C'est ce que nous faisons dès le lendemain. Car c'est un véritable festival de pierre, de céramiques turquoises, de jeux d'ombres et de lumière qui nous attend. Boukhara sait nous séduire, en quelques heures seulement. Nous y resterons donc cinq jours.

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Une journée pleine de pas sous le soleil lourd de Boukhara nous entraîne dans les principaux monuments de la ville : le Tchor Minor caché dans la partie Est de la vieille ville, les Kosh médersas (doubles madrasas) et le Minor Kalon, ce grand minaret de 48 mètres qui, tel un berger, garde l'entrée de la mosquée éponyme ou avaient coutume de se rassembler les brebis musulmanes avant le communisme. Il était également le dernier promontoire duquel étaient précipités, enfermés dans un sac, les criminels locaux. Cet épisode vient se superposer à de nombreux autres glanés dans les guides ou les livres parcourus avant notre voyage, telle l'histoire de ce colonel russe, envoyé par le Tsar pour évaluer la résistance des Sogdiens à une pénétration russe. Seul le son de sa peau, écorchée à vif et tendue sur un tambour a pu porter en retour les nouvelles que le Tsar attendait.

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Là est le paradoxe ouzbek : l'histoire nous apprend que leur cruauté n'a connu d'autres limites que celles de leur imagination, quand leur visages actuels nous sourient, exprimant une sincère attention portée à ces passagers clandestins que nous sommes dans leurs vies.

 

 En effet, si la ville accueille un peu moins de groupes de Français et un peu plus d'Allemands et d'Italiens qu'à Khiva, le passant dominant à Boukhara, c'est l'Ouzbek. De tous les âges, de toutes les couleurs vestimentaires, en particulier les moins avenantes, il en sort de toutes parts, notamment à la tombée de la nuit. Pas un qui ne sacrifie au rituel local : une photo devant la statue de Hodja Nasreddin, le saltimbanque de l'Orient qui distille sa sagesse proverbiale dans tous les folklores de la région.

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 Perché sur un âne trop petit pour lui, il tourne les grands en ridicule, souligne les travers des orientaux pour mieux conquérir leurs coeurs. Particulièrement fameux en Egypte et au Levant, il fait ici l'objet d'un culte inattendu. Les vieilles femmes vêtues de leur large robe aux motifs géométriques et criards lui rendent hommage, les plus jeunes l'escaladent; tous cherchent à partager, pour quelques soums que leur soutirent les photographes locaux, une peu de la gloire éternelle du facétieux personnage.

  

L'autre figure emblématique est Avicenne. Omniprésent dans les boutiques de miniatures, statufié dans la ville nouvelle et muséifié à Afshona, la bourgade de sa naissance située à trente kilomètres au Nord Est de Boukhara, il est la fierté scientifique de cette ville; au plan national, il partage cet honneur avec Al Khorezmi pour les mathématiques ou encore Al Boukhari pour la recension des hadiths coraniques.


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Nous décidons donc de lui rendre visite, partout ou son ombre plane. C'est à Afshona, que nous visitons après avoir découvert le palais d'été des Emirs puis le mausolée de Bahauddin Nakchabandi, que nous attend une belle surprise. Le musée est intégré à une école d'infirmière, dont nombre d'entre elles sont à la pause au moment de notre arrivée.

Il faut croire que les visites d'étrangers sont aussi rares ici que le bon goût vestimentaire. Une horde d'apprenties nurses se ruent sur nous, coiffées de leur calotte blanche, et roucoulent tant et plus avant de nous poser, dans un anglais approximatif, des questions dont elles doivent penser qu'elles sont bien indiscrètes : d'où venez-vous? Comment vous appelez-vous? Quel métier faites-vous? La visite du musée se fait en cette touchante compagnie de jeunes ouzbekes qui, un livre de biologie sous le bras, n'en reviennent pas d'avoir rencontré des Français. Nul doute que les photos dont nous sommes les héros au moment de repartir agrémenteront quelques soirées de discussions sur ce qui a constitué un événement dans leur scolarité!

 

 

Ihsan, notre héraut

 

DSC 0182L'autre rencontre est plus sérieuse : en face de la mosquée Kalon se tient une médersa toujours active. Pour séparer la partie visible de la zone privative des étudiants, les futurs imams se relaient à la garde. Nous abordons l'imam de quart à cette heure-là, en arabe, à défaut de l'ouzbek qui restera pour nous un territoire inconnu. Ihsan est plutôt timide, voire gêné par notre intrusion qu'il pense guidée par l'envie de passer du côté privé de la médersa. Il est âgé de 22 ans et pâlit sur un noir bouquin depuis déjà quatre années. A la fin de sa cinquième année, il sera nommé Imam, mais veut encore approfondir ses études à l'Institut de Tashkent, "parce que c'est un grand institut", sans plus en savoir. Son faciès est tadjike d'après Sandrine; il confirme. Alors que nous nous séparons, il nous enjoint de le laisser nous accompagner pour l'après-midi, motivé par l'occasion de pratiquer son arabe oral, il est vrai sommaire par comparaison avec son niveau écrit. Nous acceptons avec plaisir ce compagnon inattendu qui traîne ses savates trop petites sur le bitume brûlant pendant les deux heures qui suivent. Il nous dit qu'en France nous avons un très grand minaret. Ben non, on voit pas, celui de la mosquée de Paris n'est pas si grand. Mais si, mais, il s'appelle quelque chose comme … Eiffel! Ah oui, vu sous cet angle! Puis on passe de mosquée en jardin et de chaikhana en mausolée, jusqu'à atteindre celui d'Ismail Somoni, fondateur de la dynastie des Samonides au Xème siècle. C'est un cube de pierre, ajouré aux quatre vents, dans lequel nous pénétrons. Ihsan nous propose d'y faire sa prière; nous acceptons, sans trop comprendre son intention jusqu'à ce que la pierre se mette à vibrer au son de sa voix mélodieuse qui psalmodie la Fatiha. En quelques instants, on sent que Dieu s'est approché de nous…

 

Puis c'est Dyonisos qui nous tend les bras, sous la forme d'une affiche racoleuse à l'entrée d'un grand hôtel sans charme du centre ville : "ouzbek wine tasting between 14 and 21". Quelques trésors de persuasion plus tard, Sandrine consent à m'y accompagner, craignant probablement encore plus de me laisser m'y rendre seul. Une salle soviétique du sous-sol de l'hôtel a été préparée par Lutfiya Achilova, oenologue de son état, et son mari viticulteur. On tourne autour des quelques bouteilles exposées, on se renseigne plus sur le nombre de breuvages à avaler que sur le prix modique de la dégustation. Et puis je me lance, m'attable et Sandrine me rejoint. L'hôtesse comprend que la partie est gagnée et développe son boniment vineux, haché çà et là par nos fous-rires retenus. Nous en passerons par deux blancs secs, puis deux rouges secs (si, en Ouzbékistan cela existe…) puis deux blancs demi-secs avant de finir en fanfare par un blanc madérisé et un rouge de dessert. 

  DSC 0082  Les promesses de l' annonce sont tenues : les vins ont du caractère! Quarante minutes passent, égrenées de noms barbares des types de raisins ouzbeks ou géorgiens assemblés. Nos estomac s'accrochent, nos palais décrochent! La fin de la dégustation est sublimée par le geste de la vigneronne qui nous offre un dernier verre du vin que nous avons préféré. Par dépit, mais surtout par compassion pour la passion réelle de ce couple d'ouzbeks quasi-septuagénaires, nous désignons chacun le breuvage que notre estomac semble à même de mieux supporter une nouvelle fois. Et l'on trinque à l'amitié franco-ouzbeke, scellée dans ce sous-sol d'hôtel autour du fruit du travail de ces gens.

 

 

Best plov ever

 DSC 0003 2 Ce soir c'est plov (prononcer pilof en traînant sur la fin), le plat national ouzbek, un peu comme tous les soirs d'ailleurs. La cuisine locale se résume à notre connaissance à cinq plats en sus de celui-là : les mantis (raviolis garnis), le dimlamah (ragoût ou pot-au-feu selon les restaurants!), le laghman (grosses spaghettis bolonaises locales), les samsas (les mêmes qu'au Levant, mais fourrés au gras) et les chachliks (gras mélangé de viande de boeuf en brochette). Alors quand c'est plov, c'est la fête! Un brasero en forme de wok sert à cuire une couche de viande de mouton recouverte de carottes finement découpées, le tout surmonté de 30 centimètres de riz pilaf, d'où le nom. Le premier que nous avons goûté à Khiva baignait dans le gras, comme les rigueurs hivernales l'exigent probablement. Celui de ce soir nous a été préparé par le beau-père de Dilarom, vendeuse de caractère qui tient boutique en face du Tchor Minor et que j'ai entreprise pour faire du change la veille.

 

 

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Nous sommes accueillis dans la cour à ciel ouvert de leur maison, au milieu des enfants qui piaillent et de Dilarom qui s'agite en tous sens. Le thé nous est servi en accompagnement, comme toujours en Ouzbékistan, à tel point que même Sandrine est obligée de faire des pauses dans sa consommation. Celui-ci est à la menthe, un autre sera aux épices. Surtout vert mais aussi noir, il est la boisson sociale par excellence, gardant probablement encore une marge sur la bière et la vodka. On échange quelques mots, malgré leur anglais très limité, ils nous offrent trois babioles, sourient devant les photos de nos filles. On paie nos 25 000 soums pour ce festin et on les quitte avec le souvenir que c'était le meilleur plov que nous ayons mangé.

 

Les deux dernières journées à Boukhara nous trouvent à jouer à cache-cache avec la chaleur dont le soleil irradie la ville. Le vent est notre meilleur ami, les arbres nous protègent de leur ombre, la bière apaise ma soif. Nos courtes déambulations visent les échoppes préalablement repérées : le photographe Boltaev et le miniaturiste Toshev ont notre préférence; ils nous délestent d'un peu de monnaie mais nous leur prenons bien plus que cela en emportant un peu de l'âme ouzbeke en échange.

 

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Sharq attaque

 

A nous trois Samarcande! Au petit matin, nous quittons Boukhara pour Kagan, la gare ferroviaire proche. Nous avons choisi le train car c'est le moyen de transport idéal pour voyager confortablement tout en découvrant le pays. Il est le garant de la nonchalance du voyageur qui déroule lentement son chemin. Celui-ci se nomme Sharq, l'Orient, tout un programme. Le train en Ouzbékistan, c' est un peu l'équivalent de la Harley aux USA. En théorie. En pratique, nous arrivons en gare à 7h30, soit trois quarts d'heure avant le départ du train. Après avoir passé le guichet du portail d'entrée, c'est le contrôle des sacs et le portique de sécurité pour les gens, puis le tampon sur le billet, puis le filtrage de l'accès aux quais et enfin la vérification des places avant de monter en voiture.

 

DSC 0003 Bien entendu, une fois le train parti, le contrôleur passe pour retirer le carbone de votre billet.   Si l'on ajoute à ces six contrôles le fort balourd du train et les écrans de TV qui crachent de la musique ouzbeke sur fond de clip bas de gamme, on peut tirer deux conclusions de ce voyage ferroviaire : le taux de chômage doit être très bas dans ce pays car les emplois fictifs pullulent ; le vélo est plus probablement l'équivalent de la Harley aux USA.

 

 

Splendide et monumentale

 

Après un rapide passage à ce qui restera comme le meilleur B&B du voyage, le Jahongir, tenu de main de maître par Odil, nous pressons le pas vers le Registan, cette ancienne place des sables dont le sol devait absorber le sang des condamnés. Aujourd'hui, trois bâtiment restaurés forment les parois d'un cube imaginaire auquel il manquerait un côté.


Trois frontons imposant leurs majoliques et leurs bulbes torsadés, parfois légèrement penchés vers l'avant comme s'ils cherchaient à mieux voir ce qui se passe sur la place, l'oeil attiré par le scintillement de la lame du bourreau qui, le bras levé, s'apprêtait à remplir son office.

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Certains minarets sont de guingois, quelques céramiques ont repris leur liberté; rien de tout cela n'enlève à la majesté de l'ensemble que nous ne nous lasserons pas d'admirer, dans les jours  suivants,  même aux heures les plus matinales.

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Les condamnés ont cependant laissé la place aux nombreux touristes auxquels nous nous mêlons sous une chaleur plus marquée encore qu'à Boukhara. 

Le reste de l'après-midi permet d'enchaîner les sites de marques tels que le Gour I Emir, réceptacle de notre obole d'ivoire habituelle. Les croque-morts de Tamerlan ont fait inscrire son épitaphe sur son tombeau noir : "Si j'étais encore vivant, le monde tremblerait".

 

DSC 0218Puis vient le Shah I Zinda qui recèle les sculptures sur céramiques les plus fines que nous ayons pu voir en Ouzbékistan. Cette rue montante qui sert de nécropole est comme une entaille encastrée dans la colline d'Afrosiyab, qui est elle-même un immense cimetière dont les stèles funéraires sont finement gravées à l'effigie de leurs occupants.

 

Paradoxalement, la beauté des lieux fait de ce vaste ensemble mortuaire l'une des plus belles pièces de la collection culturelle ouzbeke. Nous rentrons un peu hagards, encore tout absorbés par tel cisèlement de pierre ou tel autre contraste de bleu. Samarcande a tenu ses promesses, celles que Sandrine avait en tête depuis des années.

 

 

 

Les autres monuments s'enchaînent à un rythme plus lent le lendemain : Bibi Khanum que Tamerlan voulait plus grandiose que tout autre monument au monde dresse encore, malgré des restaurations incomplètes, des portiques géants dont les minarets latéraux ont été étêtés. L'observatoire d'Ulug Beg, savant local présenté comme le chaînon manquant de l'astronomie mondiale est plus décevant. La petite mosquée Abdi Daroun enfin nous donne une seconde occasion de converser en arabe avec l'imam, dont l'aisance dans la langue du prophète Mahommed est impressionnante.

 

 

Ourgout la fraîche

 

Fuyant la chaleur, mais également désireux de délaisser les sculpturales constructions de Samarcande qui nous ont écrasé de leur grandeur, nous décidons de partir pour Ourgout, petite ville lovée au pied de la montagne Zeravchan, la chaîne située à quelques 50 kilomètres au Sud de Samarcande. Un détour par une fabrique de papier de soie, en hommage à tous nos prédécesseurs occidentaux venus acquérir via ces terres les techniques chinoises, et nous atteignons le pied de la montagne.
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Près de 1100 mètres d'altitude lui confèrent une fraîcheur bienvenue et la visite est d'autant plaisante qu'Odil nous a accompagné. Grâce à ce précieux drogman qui maîtrise les langues française et anglaise aussi bien que le tadjik ou l'ouzbek, nous pénétrons l'antre de Noman Kulol, maître potier de son état, héritier de dix de ses ancêtres ayant précédemment acquis la même maîtrise. Bonhomme, il nous fait le plaisir de modeler sur son tour français un vase de terre en quelques minutes à peine, prouvant ainsi que l'intelligence peut également résider dans les mains.

 

 

La rencontre suivante est du même acabit : Mavrouda, 54 ans à peine, mais affichant un très beau visage bronzé des rides d'une travailleuse de soixante-dix ans, fait autorité en matière de suzanis, ces broderies aux motifs floraux dont l'Ouzbékistan s'est fait une spécialité. Elle explique, commente la dureté de sa tâche, tout autant que l'amour qu'elle lui porte. Elle nous séduit par son charme et finit d'emporter le morceau en nous proposant un déjeuner maison.

 

Notre escapade montagnarde se termine à Tchor Chinor, les quatre platanes, site nommé en hommage aux platanes millénaires qui y ont trouvé refuge.

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Le plus curieux d'entre eux, au diamètre baobabien, accueille dans son tronc qui s'est naturellement creusé la plus écologique des madrasas du mondeMais le plus étonnant reste l'imam qui nous conduit dans ce parc, déversant un arabe aux sonorités déformées. Il est difficile de dire si son accent de piémontais ouzbek est seul à blâmer ou s'il s'est adonné à la consommation de quelque produit aux vertus psychotropes qui est exploité en masse juste de l'autre côté de la frontière… Les veines sanguines de ses yeux nous laissent en effet penser que l'islam local est tolérant avec la graine de pavot.

 

 

 

On the rail again

 

230 kilomètres par heure à travers les plaines ouzbekes. Nous nous faisons l'effet, à bord du TGV local, l'Afrosiyab, d'une horde aux capacités subsoniques qui file conquérir Tashkent.

 

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Sans le service impeccable à bord et les quelques photos d'ânes, volées sur les bas-côtés du train, l'atmosphère aurait été à la chaude larme, Sandrine ayant le sentiment très fort que Samarcande aura constitué notre dernière véritable découverte de son Ouzbékistan.


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La Tashkent de plus de deux millions d'habitants qui nous attend nous ayant été décrite par tous nos compagnons de voyage comme une ville qui n'a pas su se départir de son teint "gris soviétique" et dont les atours culturels ne pèsent pas lourds face aux splendeurs qui ont poussé sur les berges de l'Amou-Daria.

 

 

Vert de gris

 

S'il est vrai que la ville exhale encore un parfum d'outre tombe, balafrée par des barres d'immeubles dont les balcons de béton sont autant de formes alignées devant un peloton d'exécution architectural communiste, elle a également verdit ses allées et développé ses parcs.

 

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Jouissant en sus de vastes espaces et d'un ciel aussi bleu azur que le drapeau ouzbek, elle apparaît entre deux âges, mi-cireuse, mi-florale, tout du moins pour les zones parcourues par les touristes. Si l'on s'éloigne un peu cependant, l'ordonnancement des jardins de la place centrale Timur se transforme vite en vague souvenir, preuve que les réflexes du communisme, capable de faire peindre des devantures pour cacher la misère, sont encore présents.

 

Notre court passage ne nous y laissera donc que peu de regrets et ne vaudra que pour trois événements. Notre admiration béate devant ce qui est présenté comme le dernier exemplaire encore en circulation du coran d'Othman, le calife bien guidé qui avait entrepris la recension du corpus musulman. Daté de 655 et tâché du sang de son propriétaire assassiné alors qu'il le lisait (quel romantisme morbide!), ce document de 340 pages en peau de cerf est le plus vieux coran du monde. Notre déjeuner du midi avec de vieilles amitiés retrouvées pour l'occasion sur les terres sogdiennes. Notre repas du soir, que le hasard a voulu italien, et qui par sa qualité a rattrapé l'estime que nous portions à la gastronomie locale, seul point faible probablement de ce périple transoxian.

 

 

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Commentaires
F
Bonjour,<br /> <br /> De très belle descriptions, consistantes et sincères.<br /> <br /> Je suis ouzbek et de la ville de Tachkent.<br /> <br /> Permettez moi juste de rajouter quelques propos en plus....Il faut savoir que la ville de Tachkent n'existait quasiment pas en tant que ville, c'était un gros village avant l'Union Sovietique. D'où l'architecture "grise" et sovietique. :-)<br /> <br /> Mais c'est ville est surtout une ville "Hero" et dotée d'une histoire humaine et surout humanitaire forte! <br /> <br /> C'est Tachekent (bien sur certaines d'autres villes ouzbek) qui a acceuillit durant la 2eme guerre mondiale beaucoup de réfugées:des juives,russes,tatares, armeniens, azerbaijans,chechen, les allemands (qui viennent de russie), des coreens (qui ont fuient la guerre entre Nord et Sud), des grecs (grecs communistes qui ont fuit la persecution), des ukrainiens, etc.Lors de la guerre, les familles ouzbek vennaient à la garre pour chercher les familles et les acceuillir chez eux.C'est ca la vraie histoire de cette ville qui est devenue tres cosmopolite malgré elle (encore une fois d'autres villes ouzbeks ont egalement aceuillit beaucoup de familles quo fuillaient la guerre).<br /> <br /> Voila.Merci encore pour votre recit de voyage.
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H
Vers l'Orient compliqué, je m'envolais avec des idées simples (CDG)
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