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28 juillet 2023

Ya Hossein et les vagues d’alams


A l’heure ou le Bayonnais s’éveille, ouvrant la période de joie pour les festayres dans le Sud-Ouest, le Téhéranais ouvre le bal des alams, en cette période de pleurs dans le monde chiite.

Nous sommes le 28 juillet 2023 (calendrier grégorien), le 5 mordad 1402 (calendrier persan) et le 9 muharram 1445 (calendrier musulman). En Iran, c’est ce mois musulman de muharram qui déclenche les fêtes de l’Achoura. Du 1er au 10 de muharrram, les chiites célèbrent les 10 jours qui ont conduit Hossein à la mort lors de la bataille de Kerbala en 680. Avec 72 hommes, ce fils d’Ali et petit-fils du prophète Mahomet par sa mère Fatima, s’oppose à Yazid, le deuxième calife omeyade, et ses milliers de combattants dans une lutte pour la succession du prophète. 

Celui qui est surnommé le prince des martyrs échoue dans la soif et la souffrance et il meurt décapité le 10 muharram ouvrant ainsi la lignée des chiites (les partisans d’Ali) qui continuent de régner aujourd’hui sur une partie du monde musulman et notamment sur l’Iran.

Et çà, ça se fête carrément. Avec des tazieh (théâtre de rue), des dasteh (processions et chants) et une cérémonie finale au cours de laquelle on brûle une tente, comme les soldats de Yazid ont brûlé les tentes qui abritaient les soldats et familles qui accompagnaient Hossein. 

Tout cela dure dix jours, au cours desquels les représentations montent en intensité dramatique, vers un final tragique connu et célébré comme tel. Hossein a perdu et il est mort et c’est pour cela qu’il est célébré, dans une logique passionnelle que les chrétiens ne réfuteraient pas.

Nous avons assisté à un tazieh, un dasteh avec défilé d’alams et au final crématoire, ce vendredi. On vous raconte cela, pauvres de vous qui ne bénéficiez pas des festivités d’Achoura, dans vos pays de résidence.

 

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Au cours de la semaine, nous tombons à deux pas de chez nous sur un tazieh vers 21h00. Une estrade a été posée dans l’allée qui passe devant la grande salle de spectacle de la ville. Trois ou quatre acteurs en costume d’époque se tournent autour, mimant des combats à coups de sabres courbes et la fuite du perdant. Ce qui compte, ce sont les chants puissants des personnages principaux : Hossein et le général omeyade Shemr. Et les tenues, qui permettent aux spectateurs de bien reconnaître les deux parties en présence : Hossein est toujours vêtu de vert, tandis que les Omeyades arborent des tenues et des plumes de casque rouges. Autrefois, ces acteurs avaient aussi des gestes conventionnels pour aider le spectateur à mieux situer l’action : un acteur qui tournait sur lui-même annonçait un changement de scène ; un acteur qui faisait le tour complet de la scène mimait une longue distance parcourue. 

 

Comme souvent dans les spectacles théâtraux et autres opéras de rue, la démesure est l’étalon de l’émotion. Les Iraniens ne font pas défaut à la règle, à grands renforts de tambours omniprésents et d’amplis puissants, volontairement réglés avec un écho lancinant qui habille les voix fortes des chanteurs et leur fait traverser le temps et l’espace. 

 

9 muharram, 21h00, place Namjoo : nous arrivons sur un petit-rond point du centre de la ville, indiqué par les propriétaires comme the place to be pour voir des alams portés dans la rue. Quelques badauds, tout de noir vêtus comme nous, discutent assis sur les bancs de béton au milieu du rond-point. Hommes, femmes et enfants rejoignent tranquillement. Les plus jeunes avalent une glace à l’italienne achetée au coin de la rue, pour tenter de faire baisser un peu la température. Les scooters déboulent dans tous les  sens et zigzaguent entre les quelques voitures qui ne s’arrêteront pas de passer toute la soirée, dans un chaos d’alternance plus ou moins organisée avec les défilés. Cela nous donnera l’occasion de voir passer la Peugeot du Bassij, caisse surbaissée, calligraphie sur Zeinab et petite plume d’alam sur le toit : collector.

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La séance commence avec un dasteh sinezani, une procession d’hommes qui se frappent la poitrine au rythme du tambour. Deux ou trois jeunes, beaucoup d’anciens et quelques hommes d’âge intermédiaire passent devant nous, tandis qu’un chanteur qui évoque Hossein les accompagne. Le geste synchronisé des mains droites qui viennent doucement frapper le coeur symbolisent la peine qu’ils ont tous en pensant à Hossein et à son sort funeste.

 

Puis viennent d’autres groupes qui défilent, mus par les champs survitaminés que beuglent des amplis montés sur roulette et porteur de projecteurs puissants. Ceux-là portent un martinet dans chaque main et se frappent alternativement l’épaule droite et l’épaule gauche, parfois les deux ensemble. Les lanières sont faites de chaînes métalliques très légères et les coups ne sont pas portés forts. On remarque tout de même que certains fouetteurs portent un keffieh sur les épaules, par-dessus leur t-shirt : ils iront moins vite au paradis, je pense.

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Le clou du spectacle, c’est l’apparition des alams. Ce sont des enseignes de métal sculpté, surmontées de plumes colorées. Les plus simples ont une hampe classique et un seul mât.

 

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20230727_225659Les plus impressionnantes ont jusqu’à dix petits mâts reliés par une grande barre transversale et forment presque une pyramide, qu’un seul porteur doit soulever, voire faire tourner. Sur ces derniers alams, on entend le porteur ahaner sous la charge colossale qui pèse sur ses épaules. Ses pas sont raccourcis, parfois à la limite du tangage. Deux ou trois condisciples l’assistent pour équilibrer l’alam. Et tous les vingt ou trente mètres, le porteur épuisé cède sa place à un nouveau portefaix des emblèmes martyres, tout équipé de son baudrier de cuir. 

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L’atmosphère générale est attentive, mais pas fervente. Tant les acteurs de ces processions de rue que les spectateurs semblent vouloir participer à un moment de souvenir collectif, une mise en scène qui vaut réminiscence d’une identité créée il y a longtemps, mais les porteurs mis à part, personne ne recherche la souffrance. La douleur est dans les chants et dans les esprits, mais pas dans les actes. 

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Le tout reste donc bon enfant et assez peu religieux. Il faut noter qu’au tout début de la République islamique, les mollahs avaient interdit ces fêtes, qu’ils considéraient comme trop païennes. Ils se sont ravisés et exercent désormais un contrôle sur les textes récités et les chants choisis ; d’autre part les politiques conservateurs vantent les valeurs d’Achoura. Pour autant, ce que nous avons vu était bien une fête populaire, où nul mollah n’a pointé le bout de son turban et au milieu de laquelle quelques femmes non voilées se promenaient sans susciter la moindre remarque. 

 

Du folklore, bien plus que du prosélytisme donc. Et entre les rythmes des tambours, les chants répétés et les sonos puissantes, on se sent presque à la maison au passage des bandas lors des férias. Le Ricard en moins mais le thé et la nourriture offerts aux passants en plus.

On remarquera d’ailleurs au passage, parmi les acteurs des défilés, un croisé stylé, un fouetteur Balanciaga et même un futur martyre superman. On est loin de Marg bar Amrika (Mort à l’Amérique)!

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A la mi-journée le lendemain, nous rejoignons la place du 15 Khordad sous un soleil de plomb. Si la veille, la foule était éparse, on comprend à la densité du jour que nous sommes au coeur de la dernière célébration. Les voiles noirs protègent des insolations mais attirent la chaleur et tout le monde attend avec impatience le spectacle annoncé. On sait qu’il se déroulera sur la place, puisqu’en son centre est dressée une tente blanche de 15 mètres de haut.

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Chacun cherche soit de l’ombre, soit une vue. Nous aurons la vue, juste à côté d’un groupe d’Afghans qui a escaladé les murs pour se poser sur les rebords de fenêtre. Certains de nos voisins portent des traces de boue sur le haut du crâne et sur les épaules : ils évoquent les corps morts qui sont tombés sur la terre de Kerbala. C’est de la même terre que sont faits les mohrs, ces petites pièces sur laquelle les orants chiites posent le front en priant. 

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Vers 13h00, un groupe de cavaliers, montés sur pur-sang arabes et vêtus de rouge arrivent aux abords de la place. Ils enserrent des femmes et des enfants vêtus de vert et ligotés : les familles faites prisonnières après la mort d’Hossein.

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Ils tournent autour de la grande tente qui est ensuite incendiée. Elle s’embrase, dégage une forte chaleur et brûle en quelques secondes, envoyant des flammèches vers la foule située à proximité, sans que cela n’émeuve grand monde.

 

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Pendant qu’un jet d’eau s’attache à éteindre les dernières flammes en haut du mât, apparaissent deux groupes d’orants, hommes puis femmes, qui chantent des Ya Hossein et portent des fanions verts à son nom. L’histoire de Kerbala s’arrête là, celle du dolorisme chiite éclot.

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D’un monde à l’autre, il n’y a pas tant que cela. Trois mots et quelques notes de musique suffisent d’ailleurs à dresser un pont entre Sud-Ouest et monde chiite. Pour preuve, je vous invite à fredonner ce refrain, très connu sous le ciel de Téhéran (dont on me dit que l’air ressemble à celui de Pampelune

  

J’irai de Kerbala jusqu’à Mashahd 

J’irai de Najaf jusqu’à Téhéran

Ce sera le plus grand pèlerinage

Des martyrs de tous les temps 

 

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