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16 décembre 2022

Ne dis pas à maman...

 

…que l’on va m’exécuter.

 

 

C’est par cette supplique que plusieurs enfants de la République islamique tentent de cacher à leurs parents le funeste destin qui les attend à très court terme.

 

C’est une phrase d’enfant lancée par des manifestants qui ont à peine vingt ans et que la corde attend.

 

C’est un espoir qu’à leur malheur, ne viendra pas s’ajouter l’angoisse inextinguible d’une mère qui sait que son fils ou sa fille ne verra bientôt plus le jour se lever et qui ne peut absolument rien y faire.

 

Parce que les tribunaux révolutionnaires en ont décidé ainsi. Ils ont utilisé un article de loi qui permet d’accuser de « crime envers Dieu » / « moharabeh » en persan, quiconque a menacé le République dans son existence. Et c’est la peine de mort qui vient clore le débat. Car il y a débat, entre religieux chiites et également avec les religieux sunnites d’Iran. Quand le Coran dit que seul un assassin peut être condamné à mort, sur la demande expresse de sa famille, la République islamique d’Iran explique que son essence même est aussi sacrée que la vie d’un homme. Ses procureurs peuvent donc se substituer à la famille d’une victime ; mieux encore, ils peuvent décréter qu’il y a eu crime envers Dieu sur la base de faits qui, dans d’autres pays ne sont pas des crimes mais des délits. Ni victime tuée, ni famille plaignante, mais un crime de sacrilège dans un pays qui explique que la liberté d’expression n’est pas une liberté de critiquer d’éminentes figures, telles que les prophètes ou le Guide Suprême. Le blasphème tue.

 

Ainsi a été pendu Mohsen Shekari, 23 ans, le 8 décembre dernier. Il était accusé d’avoir bloqué le passage des voitures dans une rue d’une ville non loin de la capitale et d’avoir blessé au couteau un agent des forces de sécurité pendant les manifestations. J’ai vu son couteau ; il m’a été présenté comme preuve de la dangerosité de l’individu. C’était presqu’un hachoir, tellement la lame était large. Aussi large qu’est étroite l’interprétation de la loi qui affirme qu’une blessure avec un tel couteau mérite la mort comme sanction.

 

Les manifestants ont-ils l’intention de renverser ce régime et de vouer aux gémonies ses mollahs? Oui. Ils le crient tous les soirs avec vigueur depuis les fenêtres de leurs immeubles. Ils l’écrivent sur les murs de la ville, que des employés mal payés viennent nettoyer le lendemain. Ils le souhaitent au plus profond d’eux-mêmes, dans cet espace de désespoir qui les habite : les réformateurs ont échoué quand ils étaient au pouvoir ; les conservateurs viennent de réaffirmer qu’il fallait revenir aux  principes originels de la Révolution islamique ; il ne reste à ces jeunes aucun horizon vers lequel regarder, aucune lueur vers laquelle espérer. Alors ils donnent leur vie pour cette idée de renversement, faute de savoir quoi en faire au quotidien. Mais ils la donnent sans arme autre qu’une lame d’acier un peu large, sans avoir suffisamment de compagnons du désespoir pour transformer en réalité leurs intentions. Ont-ils l’intention de renverser ce régime? Oui. En ont-ils les moyens? Non.

 

Ces vies données, ou plutôt prises, sont-elles perdues pour autant? Pas dans l’imaginaire collectif de la société qui, si elle n’est pas descendue en masse dans les rues, partage très largement les critiques violentes que les plus jeunes ont portées dans l’air sec de Téhéran, ou sur ses murs délabrés. Mais cette majorité a eu peur. Echaudée par les précédentes manifestations, surtout 2009 et 2019, ils ont eu peur de descendre dans la rue car ils avaient gardé le souvenir de ceux qui avaient déjà donné leurs vies. 

 

Ils ont eu peur, mais gardent le souvenir. C’est au moins à cela que serviront les 500 vies qui se sont éteintes depuis la mi-septembre. Et ce souvenir viendra très probablement alimenter un autre mouvement, dans quelques semaines, mois ou années. Car la colère n’a fait que croître au fur et à mesure de l’annonce funèbre des 500 noms, de l’affichage sur les réseaux sociaux de presque 500 visages. Ces morts ont tous un nom, un visage et une histoire connus de toute la population. Ils ne sont pas des soldats inconnus d’une révolte civile. Ils ont été célébrés, pour une bonne partie d’entre eux, 7 jours puis 40 jours après leur mort. Ils seront célébrés un an après leur mort, comme le veut la tradition chiite. 

 

On aurait préféré tout de même que la supplique fût « Dis à maman… que je vais bientôt être libéré ».

 

Ne dis rien à maman

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