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9 juin 2022

Fars et satrapes 17 / Hit the Road, Can*

 * Can (Djan) est le terme courant utilisé en langues persanne et turque (canım) pour dire « mon cher »

 

Le trajet prévu

 

Badaboum, 300 mètres, badaboum, 500 mètres, rebadaboum. 

La voiture  bondit à chaque dos d’âne que je n’aperçois pas. Et vu la quantité astronomique de dos d’ânes posés sur les routes de la province de Gilan, dont une bonne partie non signalés, je fais valdinguer le Tucson de location avec une fréquence élevée qui n’est pas pour plaire à Sandrine.

On se dit que si l’inventeur américain du dos d’âne touchait des droits d’auteur, il serait millionnaire rien qu’avec ce qui a été posé ici. C’est pénible en réalité et nous prive d’une partie du plaisir que le road trip engagé nous promettait. 

La première bonne surprise tient au fait de quitter les zones asséchées de Téhéran ou du centre du pays que nous avons visitées jusqu’à présent. La route bifurque au Nord deux heures après avoir quitté la capitale et descend sans s’arrêter vers les rives de la Caspienne. Et toute la plaine qui précède n’est qu’un immense espace verdi par les rizières, les champs de thé ou tout simplement les forêts. C’est un nouvel Iran qui s’offre à nous à l’abord de la ville de Rasht, un Iran qui a des airs de campagne française ou asiatique, mais qui en tout cas s’est dépouillé de ses poussières et de sa peau d’ocre. Ce shoot de chlorophylle fait vraiment du bien.

Du vert

Un autre vertRizières en Iran

Nous ne passons qu’une nuit à Rasht, ville aux allées larges et bordées d’arbres mais sans autre charme réel que sa très bonne cuisine. Et les trois restaurants de notre temps de passage sont à la hauteur de la réputation de la zone : on retrouve des plats connus à Téhéran, mais mieux cuisinés et plus savoureux.

Poisson blanc de la Caspienne ; délicieux et bourré d'arrêtes

Rasht est aussi appréciée pour sa proximité avec les plages de la Caspienne. Nous faisons donc un tour dans l’une des stations balnéaires du coin, Bandar-e-Anzali. Pour l’atmosphère, il faut aller chercher du côté des congés payés en France en 1936 : populeux et populaire. Pour le décor, il faut aller chercher du côté des parcs d’attractions russes dans les années 2000 : rouillés et brinquebalants. Pour la plage, nous ne connaissons pas d’équivalent à ce sable gris fin et collant et à cette eau presque claire, mais aux tons marrons qui laisse mon entrain là où il était avant d’arriver, dans le coffre de la voiture…

 

Un takht (lit-table) sur la plageUne jeep toute neuve

Les Iraniens adorent néanmoins ce grand espace qui leur permet de jouer dans l’eau peu profonde sans savoir nager et pour certaines, de prendre plaisir avec leur corps, tout en restant dans le cadre général des normes vestimentaires.

Bain oui, mais habillée

Au passage retour, on découvre une petite zone de marais qui a été aménagée vite fait en peignant de couleurs vives les cahutes qui la bordent. C’est toujours pouilleux, mais les couleurs réchauffent cette misère.

La zone de marais

De Rasht à Masouleh, une heure trente de dos d’ânes environs, avec une pause à Fouman, célèbre pour ses Kaloucheh, délicieux biscuits fourrés d’une pâte sucre-cannelle. On adore.  

Le Kaloucheh

On aime aussi Masouleh qui, contrairement à Abyaneh qui lui ressemble, est un village habité et pas trop apprêté pour le tourisme, bien qu’il soit de masse ici. C’est rude pour les mollets et le cou de Sandrine chauffe sous le voile que le soleil cogne fort. Mais le site est vraiment plaisant avec ses toits de maison qui font office de rue ou de zones de jeu.

Masouleh

Les toits-rues

Après cet avant-goût de montagne, on file vers la province d’Azerbaïdjan oriental. La route de montagne est assez mauvaise ; les voitures nombreuses et les dos d’ânes toujours présents. Ce n’est que vers le col à 3000m que nous apprécions la vue. Juste avant de devoir arrêter la voiture à cause du voyant de température moteur. Une inspection rapide nous fait découvrir que le radiateur était vide, ce qui explique que dans le réservoir de secours pour le moteur, l’eau tournait à gros bouillons. L’agence de location alertée ne s’est pas vraiment émue, puisqu’on a réussi à remettre d l’eau et à repartir…

 

Au passage du col

Vue du col

Les contrastes du voyage sont un de ses plaisirs principaux. Les deux cents kilomètres qui suivent cette petite mésaventure sont donc sublimes. Le haut plateau azerbaïdjanais, d’où partent à la fois l’Arborz et les Monts Zagros, nous comble de ses paysages verdoyants, de ses terres colorées et de ses horizons arrondis. C’est le plaisir pur de rouler dans des espaces qui semblent ne pas finir et avoir été dessinés spécialement pour être traversés par des nomades en mal de nature. Un ciel gris vient ajouter un peu de dramaturgie à ce paysage de peinture. Les photos ne rendent malheureusement pas grâce à ce moment délicieux.

 

Le haut plateau azerbaïdjanais

Vers Ardabil

 

Du fait de la panne, nous débarquons à Ardabil moins d’une heure avant la fermeture du site qui abrite le tombeau de Cheikh Safi al Din. Ce mystique soufi chiite, dont la pensée a guidé les pas du premier représentant de la dynastie safavide, Shah Ismaël Ier, réside pour l’éternité dans un écrin de céramiques et de briques. Une averse nous surprend à quelques mètres de l’entrée et nous mange encore quinze minutes sur le temps précieux que nous avons pour visiter le site. Mais la pluie offre des couleurs et des reflets que nous n’aurions pas saisis autrement. Et les Iraniens sont coulants avec les horaires : la visite est donc complète et permet de voir tous les détails du travail superbe qui est réalisé ici.

 

Shah Ismaël

Allah, en écriture coufique

La cour principale de l'ensemble Safi

L'accès au tombeau de SafiLes muqarnas du tombeau

La salle de réception de l'ensemble Safi

Le tombeau de Shah Ismaël

Merci l'orage

Direction Sareyn, une ville thermale pour y passer la nuit, sur suggestion du tour operator. C’est nul. L’hôtel qui se veut étoilé n’aurait pas dépareillé sur la plage de Bandar-e-Anzali. Le resto trouvé nous sert essentiellement des produits non frais. Et le petit-déjeuner suivant ne sera guère mieux. On fuit la zone le lendemain pour atteindre la destination phare de ce road trip : Tabriz.

 

 Tabriz

« La ville n’est ni turque, ni russe, ni persane…elle est un peu tout cela, bien sûr. Mais au fond d’elle-même elle est centre asiatique. »

L’usage du monde, Nicolas Bouvier, 1953

 

Plusieurs aspects de la ville sont saisissants. Tout le monde parle encore azéri en 2022, cette langue turcique qui subsiste en Azerbaïdjan et dans la province de Tabriz, mais qui est également parlée en Asie centrale. Une fois déclamé le Salom iranien en guise de bonjour, il vaut mieux retrouver son vocabulaire turc pour communiquer naturellement avec la population. Si les plus jeunes et le personnel touristique parlent aussi le farsi, il se dit que ce n’est pas le cas des plus anciens, qui ne l’ont jamais adopté.

C’est dans cette province, que les Qadjars voulaient iraniser de force, qu’a eu lieu au début du XXe siècle un soulèvement révolutionnaire qui mena à l’établissement d’une constitution démocratique en Iran. C’était juste avant que le Shah ne s’impose militairement à tous et écrase les constitutionnalistes, dont la mémoire est très célébrée à Tabriz, comme en témoigne la maison de la Constitution qui regorge d’archives. Il faut dire que tout ce qui va contre le temps des Shah a le soutien du régime actuel : cette revivification de la mémoire révolutionnaire a donc bénéficié des fonds de l’Etat.

 

La maison des ConstitutionalistesRévolutionnaires de plusieurs époques

Au-delà, Tabriz se caractérise par son climat sec et son vent qui caresse  en permanence les montagnes rouges qui enserrent la ville. C’est un décor des plus plaisants que nous arpentons deux jours durant, alternant  arts et architecture seljoukides avec la mosquée bleue - surnommée la Turquoise d’islam -, la grande mosquée d’où Shah Ismaël Ier a déclaré le chiisme comme religion d’Etat - et la place de cette religion tient encore plus de six siècles après -, et les sorties hors de la ville. 

Les couloirs extérieurs de la Mosquée bleueCe qui reste de l'entréeMontant latéral de l'entréeUn petit air de la mosquée bleue d'Istanbul

Du bleu

Et un autre bleu

Les arcades de la grande mosquée

Salle de prière principale de la grande mosquée

Quand on part au Nord-est pour 30 kilomètres, on tombe par exemple sur le site des montagnes colorées, un régal. Mais il suffit de passer le périphérique Nord pour accéder à un site d’escalade visiblement apprécié des locaux.

Les montagnes colorées

Seuls au monde

Et au milieu des montagnes, ...

Les montagnes colorées

Les montagnes colorées

Nous sommes par ailleurs presque les seuls étrangers dans la ville. Pour le moins, nous n’avons croisé en deux jours à Tabriz qu’un jeune couple de Québécois et un groupe de Turcs, qui ne font pas vraiment étrangers dans le paysage. On retire de cela un sentiment renforcé de découvrir une zone peu connue du monde.

La maison Hariri

Le salon de la maison Hariri

Tabriz est plaisante ; mais nous avons conscience que la saison y est pour beaucoup. La même ville en hiver prend des airs de petite Sibérie du fait des froids tranchants qui y règnent. Nicolas Bouvier y est resté bloqué huit mois, faute d’avoir pu la franchir avant cette saison, sur la route de l’Afghanistan. Mais ne faut-il pas se réjouir de ce que les événements l’ont amené à rester ici aussi longtemps et à écrire quelques belles lignes :

« On quitte le dur pays de race turque pour les terres millénaires, les paysages ensoleillés du plateau iranien. Excepté cette route souvent fermée par la neige ou par les boues du printemps, et l’autobus vert amande qui met parfois quatre jours pour atteindre Téhéran, rien ne relie la ville au monde extérieur. Dans son berceau de peupliers, de terre fauve et de vent, elle vit pour elle, à part. »

L’usage du monde, Nicolas Bouvier, 1953

 Ab goosh, un plat traditionnel dégusté à TabrizLe Köfte tabrizi

Comment évoquer cette ville sans parler de son bazar, réputé le plus beau d’Iran. On y passera une demi-journée, à admirer les perspectives des arches de briques, les cours ouvertes et les portefaix courbés, les boutiques aussi ordonnées que vides de clients. D’une discussion avec un marchand de tapis un peu édenté mais bon anglophone, on retient que « tous les Iraniens aiment tous les peuples et veulent avoir de bonnes relations avec eux, y compris les Américains et les Israéliens ». Mais que « ce gouvernement gâche tout, même si personne ne les aime, eux ». Et puis dans un dernier sourire et une poignée de main forte et sincère, l’intéressé me demande de saluer Macron de sa part ! Un enthousiasme désespéré ce celui qui vivait bien mais se contente de survivre aujourd’hui : effectivement, sur la demi-heure de conversation, pas un client à l’horizon et ce ne sera pas mieux le reste du temps de notre visite.

Les rues du bazarPorte en céramique dans le bazarToutes les couleurs du monde

Un timcheh (une cour ouverte) dans le bazar

Il faut approvisionner...

Un autre timcheh

Un autre timcheh

Une dernière petite mésaventure, avec le voiture qui ne démarre plus, trois heures de discussion WhatsApp avec le loueur de Téhéran, qui envoie un mécanicien, qui confirme que la voiture ne démarre plus. Et qui finira par envoyer un chauffeur avec une nouvelle voiture qui fait le trajet Téhéran-Tabriz dans la nuit. Mécanique peu fiable, service réactif.

On quitte la ville le jour suivant, après une charmante ballade matinale autour du Lac du peuple (El Goli) autrefois le Lac du Roi (Shah Goli) qui est le paysage signature de Tabriz sur les cartes postales. 

 

Lac El Goli

Toujours des roses, partout

Lac El Goli

 

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