Fars et Satrapes 8 / Ispahan
Ispahan - Des contrastes aux dégradés
Il s’est passé beaucoup de choses en deux jours, depuis notre départ de Kashan et notre arrivée à Ispahan, ville surnommée la « moitié du monde » au temps des Safavides, pour souligner tant sa magnificence que sa centralité de leur point de vue.
L’Iran par la route, c’est un pays pelé et cuit par le soleil. Cela est vrai pour les zones de plaines ou de plateaux, comme pour les zones de montagne. L’impression générale se confirme au fil des déplacements : c’est un endroit globalement inhospitalier pour l’homme, à tout le moins qui demande un effort conséquent pour y vivre et s’y développer.
Mais quand un filet d’eau se faufile entre les roches ou s’étale au fond d’un oued, c’est la profusion qui se profile. C’est comme cela qu’est née Ispahan, abreuvée des flots du Zayandeh Roud, littéralement la rivière qui donne la vie. Les invasions successives (arabes, bourrides, mongols) ont vite fait de s’emparer des bourgades existantes et des les transformer en garnison ou de les raser. C’est surtout sous les Seljoukides et le vizir Nizam al Mulk (XIe siècle) que la ville devient un pôle majeur, tant politique qu’économique.
Nous y débarquons dix siècles après et l’atmosphère est conforme aux descriptions de l’époque : une grande ville étalée et surtout particulièrement ombragée, ce qui rend les balades tout à fait agréables, que ce soit sur route ou dans les parcs. Le contraste avec la traversée du plateau iranien est saisissant et rafraîchissant.
Au centre de la ville, il y a un pole magnétique qui attire les habitants comme les visiteurs de passage et je dois avouer que l’attraction a joué sur moi bien plus que je n’aurais pu l’imaginer. C’est par petits bonds que nous nous sommes approchés de la place de Naqsh e Jahan, « le portrait du monde ». Nous y entrons par l’angle sud-ouest (promis, ce n’était pas un rappel des origines) et immédiatement, je suis saisi par la perspective, l’harmonie et l’unicité de la vue. La seule émotion en mémoire qui soit comparable pour moi, c’est la découverte du Taj Mahal à 6h00 un matin de mars 2008.
Pour se replonger dans l’Inde, http://lesbtn64.canalblog.com/archives/2008/03/24/8448704.html.
En deux jours, nous allons arpenter régulièrement les presque 600 m de long de cette place et pénétrer dans les trois édifices qui font plus que lui servir de faire valoir.
Le porte Ali Qapu, qui reste seule debout à l’entrée d’un palais détruit. Sa grâce tient surtout à son toit avancé soutenu par de frêles piliers de bois travaillés.
La Mosquée du Shah, monumentale et très célèbre pour ses mosaïques vertes jaunes et bleues.
Mais surtout la Mosquée Lotfollah, dont le dôme extérieur est à nos yeux le plus élégant des dômes musulmans (et on en connaît un nombre certain…) et dont l’intérieur est d’une beauté envoûtante. On pourrait faire des centaines de photos sous tous les angles, que la magie de son atmosphère et la délicatesse de ses tracés de mosaïques ne viendraient pas à bout de notre émerveillement face à ces dégradés de raffinement. C’est le second choc émotionnel en deux jours et il est de taille.
Avant de partie, Sandrine avait rencontré une dame ispahanaise qui vit à Téhéran, parle le français sans le moindre accent et avait promis de nous inviter à boire un thé. Elle nous appelle et on découvre qu’elle habite derrière la mosquée du Shah. Juste derrière en réalité, puisque son toit donne sur le dôme de cette mosquée. Elle est l’arrière arrière petite fille de Nasreddine Shah. Sa famille a été spoliée à la Révolution, mais avec son mari (et sans doutes des comptes à l’étranger), ils ont reconstitué leur fortune. Un appartement à Paris. Un autre à Téhéran dans les très beaux quartiers et puis cet ensemble de trois maisons qu’ils ont rachetées et que leur fils a entièrement rénovées et décorées dans le plus pur style ispahanais, très floral et coloré, mais sans ostentation. Une réussite et du travail pour les artisans locaux pendant plus de trois années.
Le lendemain, on enchaîne notamment avec la visite de la tombe de Nizam al Mulk, une des premières victimes de la secte des Assassins dirigée par Hassan Sabbah, dont l’histoire romancée est admirablement mise en scène dans le livre Alamut, de Vladimir Bartol.
Et puis on passe voir les ponts construits par les Safavides pour enjamber le Zayandeh Roud. Malheureusement pour nous, mais surtout pour les Ispahanais, le temps des flots est lointain et la sécheresse qui touche le pays, autant que les disputes avec les gouvernerais voisins, laissent le lit à sec et les gâteaux échoués.
Cela ne décourage pas pour autant les âmes poétiques ispahanaises, qui déambulent avec lenteur sur ou sous les arches des ponts. C’est sous l’une de ces arches que nous tombons sur un chanteur venu emplir les voûtes de pierre de ses notes chaleureuses. Dix minutes de grâce.
Et tout à la fin de la vidéo, le chanteur a capella...
Pour se reposer de tant d’émotions, nous avons fini la soirée dans un petit café branchouille à boire des boissons subtiles à base de framboise et de romarin. Le serveur, étonné de voir des étrangers dans une ville qui les a perdus depuis la rupture des accords JCPoA par Trump en 2018 ne met pas deux minutes à nous inviter à venir déjeuner chez lui, histoire que sa famille rencontre autre chose que des Iraniens. Banco, on ira jeudi midi et on vous racontera.