Un autre canon se fait entendre

Sur le mur du fond a été suspendue une tenture nacrée, ornée de quelques guirlandes lumineuses. Avec son escalier latéral en colimaçon et ses stucs d'un vert d'eau assez tendre, l'ensemble de la pièce ne dépareillerait pas dans un vieil immeuble parisien de l'époque napoléonienne. 

Sur la chaise du milieu, il s'est installé. Quelques mots de présentation, puis il laisse la musique parler pour lui. Ses premières notes sont chaleureuses, rondes, élégantes. Il change de rythme plusieurs fois, sans effort apparent et nous entraîne en quelques minutes dans son monde où chaque note est un bout d'histoire, un souvenir qu'il partage, une porte ouverte sur d'autres mondes. L'auditoire est sous le charme de ce virtuose qui sait, au détour d'une croche, faire se suspendre le temps.

Les quatre autres le rejoignent, avec l'air maladroit des talents humbles. De conserve, ils s'accordent, et tous ensemble se lancent dans cette belle aventure aux sonorités ibères. La maîtrise est moins présente, mais l'émotion tout aussi intense; peut-être le symbole y est-il pour beaucoup...

Une heure s'est écoulée; une heure ailleurs, avec eux mais ailleurs. 

La petite assemblée de privilégiés que l'ambassadeur d'Espagne avait choisi d'inviter pour célébrer "El dia de la Hispanidad" se lève pour applaudir les musiciens. Un dernier mot du guitariste espagnol, quelques sourires du groupe de Yéménites venus l'accompagner sur scène et le charme finit de se rompre, nous livrant de nouveau à l'exercice des salutations convenues. 

Le Yémen reprend ses droits, et moi mon travail...